Germoraline ? C’est quoi ? Un truc qu’on prend pour écrire ? Un truc qu’on transmet en écrivant ? Un peu des deux. Germoraline, c’est bon pour moi, pour vous. C’est bon pour tout.

Flouff

J’ai passé ma jeunesse dans le scoutisme. De 11 à 16 ans. Ce n’est pas si long, mais ça a été ma famille de cœur, d’élection, à cet âge où l’autre, la famille naturelle, acquise et stable « et néanmoins dysfonctionnelle, comme toutes les familles » dirait mon frère, compte peu.

Je me souviens de mon badge de secouriste, j’en étais fière, une croix jaune sur fond rouge, cousue sur l’épaule. « Nature », « photographe », « orientation », les badges multicolores décoraient nos chemises, nous donnant du prestige aux yeux des jeunettes.

Et puis l’uniforme de gendarmette, la boussole autour du cou, et nos Kickers bleu marine délavées par le soleil et la pluie, qui avaient avalé des kilomètres de chemin et de route – car un des principes du scoutisme comme de l’armée de terre est de marcher longtemps, en chantant, par tous les temps. Et les tentes marron à deux mâts, les gobelets de métal, les soirées feu de camp – des « veillées », on disait. Le grand feu éclairant le grand cercle et les sketchs comiques des équipes. Des bidons d’eau à portée de main, pour éviter d’incendier la prairie, les visages illuminés et brûlants, tout le devant du corps réchauffé et la nuit obscure dans le dos, sur la nuque, qui vous glace de son humidité froide. Comment ne tombait-on pas malades ? On tombait malades, j’imagine, et les « secouristes » jouaient à nous soigner.

Flouff.

Tout ça est revenu en bloc. Par un coup de fil inattendu. Avec des visages jadis adorés. Le terme d’« amitié » est bien faible, pour dire ce que nos adolescences ont eu d’inflammable, et comme elles se percutaient passionnément.

Un coup de fil pour « reprendre contact ». Voilà bien le genre de choses qui ne vous arrivait pas, avant 50 ans.

Ces personnes de ma jeunesse, je réalise au moment où ce coup de fil surgit dans ma vie combien elles me manquaient. Ce qui n’est pas encore tout à fait exact.Non, il n’y avait pas de manque. Les personnes et le manque surgissent en même temps, c’est comme se réveiller d’une anesthésie. Toutes les sensations affluent. Et rencontrent en nous un creux, une disponibilité du cœur à accueillir les souvenirs.

Un flouff : des émotions revenues en masse et qui saturent nos récepteurs. Avec un effet surdose pas désagréable. C’est le dévoilement brutal de tout un monde enfoui, avec ses habitants, avec ses mots, ses codes. Et ce monde, on y a vécu, il était notre mer enveloppante, et on l’a quitté – ce serait difficile aujourd’hui de dire comment, pourquoi, à cause de qui, ou grâce à qui. Parce qu’il faut bien naître un jour à notre vie d’adulte ? Oui, et on y est bien maintenant, dans cette vie-là, avec d’autres codes et d’autres personnes. Mais le monde d’avant nous attire soudain malgré tout et nous fait envie.

Et puis j’ai revu Anne. On a mangé des chamallows grillés à la flamme d’un petit feu, dans son jardin. On a fait remonter les souvenirs ; ça faisait comme un pont aérien entre nos 15 et nos 50 ans. Elle avait ses yeux tendres et rieurs. C’était chouette.

Le petit animal

Je crois que c’est le Marsupilami, “le petit animal”.

C’est ainsi que l’appellent Spirou et Fantasio.

Alors qu’avec sa queue en coup de poing redoutable et sa mâchoire d’acier à dévorer des piranhas, cet animal imaginaire (et sauvage) est tout sauf une petite chose vulnérable.

Colette, elle (vous savez, la “Colette” de nos dictées…), disait “les bêtes”, pour ses chiens et ses chats. Je crois bien qu’elle les vouvoyait d’ailleurs – tout ça se passe il y a cent ans. De leur observation, elle tira des chroniques, des contes. Ils parlaient entre eux, ils avaient leur petit caractère, et, si c’était amusant, cette fantaisie ne provoquait chez moi, à l’époque de ma jeunesse où je lisais tout d’elle, qu’un intérêt poli (je comprenais bien quelle autonomie financière cruciale lui donnait, pendant la Grande Guerre, ce grand succès qu’avaient eu les “Dialogues de bêtes”, moins le grand succès lui-même). 

Et puis voilà. Des circonstances privées ont amené dans ma vie, enfin d’abord dans mon jardin, un petit animal, une jeune bête : un chat.

Il a fait ses tours de chat, ses malices. Il s’est faufilé, mincelet, à travers mes sandales, a escaladé, puis désescaladé sous nos bravos soulagés le plus gros arbre du jardin, s’est jeté sur le dos comme fait un chien pour réclamer des caresses. Il a coursé des oiseaux, joué avec des bouchons, des balles, des objets divers qui nous ont parfois bien manqué, a fait ses griffes sans discernement, s’est caché dans le ventre du petit billard russe. Y a passé ses mystérieuses nuits.

Pour une raison brumeuse mais absolue, il faut tous les deux jours lui nettoyer les oreilles – le vétérinaire l’a dit ; son maître le dit – et ça m’est soudain très important de nettoyer en temps et en heure les oreilles de ce chat que je ne connaissais pas il y a quelques semaines. De ce petit être que je n’ai ni attendu ni porté, mais qui s’est pointé là, et qui dort dans mon cou.

Mais bref, je vous ennuie. 

Soit vous connaissez ces délices, et je vous lasse, soit vous êtes encore (comme je l’étais il y a deux mois) à peu près ignorants du principe de l’”animal de compagnie”, et vous ne voyez pas du tout, et vous réprimez un bâillement. 

Je vous aurais bien invités à nous rendre visite, mais les fameuses circonstances privées m’ont enlevé le petit animal. Elles me le ramèneront, rassurez-vous. C’est un peu comme s’il avait ici sa maison de campagne. Il voyage entre ses logis, comme le marquis de Carabas. Il y a un gros sac de croquettes “spécial chaton”, tout en haut de l’armoire, dans la cuisine. Et ses bottes sont dans l’entrée.

Ceci n’est pas une charrette

Aïe, ça devait faire une page, ça en fait presque trois ! 

Oui, parce que ce que je prévois dans mon recueil, c’est de vous donner à lire de très courts textes en contrepoint de mes nouvelles. Je veux dire, dans le « projet Parasol »… vous vous souvenez ? Donc, une page, un souvenir. Puis quinze pages, une histoire. Puis une page, un souvenir, et ainsi de suite. 

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Lat. 37° Sud – Long. 12° Ouest

Depuis Le Cap (c’est-à-dire au plus près) il faut sept jours de navigation pour rejoindre Tristan da Cunha. L’unique bourg de l’île porte le joli nom d’Edimbourg-des-sept-mers. Et la légende locale dit que tout le peuplement (modeste “peuplement” : 244 habitants aujourd’hui) est issu de sept colons initiaux. 

Voilà de quoi rêver.

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Talullah Belle et Lulu Carabine

Mon prochain projet a un nom de code : Parasol. Mais il n’y sera pas question  de claquettes de piscine ou de monoï. Plutôt de voir et cacher, montrer et dérober.  

Je ne publierai pas le résultat ici, parce que cette histoire de parasol est destinée à un recueil de textes. Qui n’a pas encore de titre, mais dont une petite moitié est déjà écrite. Qui n’a pas encore d’éditeur mais comptez sur moi. 

Ça parle des souvenirs, de ce que nous en faisons et de ce qu’ils font de nous. De la place que nous leur accordons  dans notre vie, et de celle qu’ils prennent tout seuls.

Vous vous souvenez que le corps humain est à 60% constitué d’eau ?  On nous en informe dès l’enfance, pour nous impressionner, et même rabattre notre caquet de prétentieuses petites particules de la Création.

De quel pourcentage de souvenirs est constitué l’iceberg de notre esprit ? Voilà à peu près mon sujet.

J’avance bien en ce moment, grâce entre autres aux Bluebell girls : Alia, Cécile, Rachel et Delphine, avec qui je travaille régulièrement. On s’épaule, on pioche chacune sa veine mais on se sourit quand c’est dur, on partage une bière en ligne… Grâce à vous aussi, qui lisez mes textes à l’occasion, et c’est ça qui en fait des histoires, et c’est ça mon projet maintenant, avoir toujours plus de lecteurs pour mes histoires. 

Je vous donnerai bientôt des nouvelles de Parasol. 

Et d’ici là, pour rester dans l’ambiance estivale, vous pouvez aussi lire L’instant où on voit la mer

Portez-vous bien !

L’instant où on voit la mer

 En ce moment, je repense à ces trucs que j’aimais vraiment, vraiment beaucoup, enfant, comme sortir en gros pull pour aller au collège, ou encore, au cinéma, le moment où la salle s’éteint, juste avant le début du film. Or ces trucs ne me font plus le même effet, voire ne me font plus d’effet du tout. Quelque chose s’est émoussé – c’est peut-être ça, vieillir ? Et à la fin on n’a plus de satisfaction ? Plus du tout ? Et mourir deviendrait presque indifférent ? – Ça, c’est la vision « pessimiste dépressive » de la vie. C’est l’artillerie lourde.

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Murmurations

Je viens de regarder une vidéo, une discussion docte et très peu ennuyeuse pourtant. Il y avait là à la même table une romancière, par ailleurs spécialiste de l’Islam, une théologienne chrétienne et un psychanalyste – que l’on pouvait supposer athée. Une aimable préposée distribuait la parole avec des sourires, parfois même des airs mutins, pour jouer les Candide. Le thème du débat était passionnant : « Peut-on désirer renoncer ? »

Pour ma part, je réponds oui. Je viens de renoncer à partager cette intéressante vidéo sur Facebook. Et j’ai eu une autre chouette idée : ouvrir un « carnet de renoncement » – j’avais, rassurez-vous, un carnet vierge, je n’ai donc pas eu à résister au désir de renoncer à en acheter un. J’ai daté la première page et j’ai écrit : « Je renonce à Etty Hillesum ». Ce qui veut dire que je renonce – pour aujourd’hui – à acheter « Une vie bouleversée », d’Etty Hillesum, 8,11€, Points Poche. Les trois débatteurs évoquaient cette femme avec admiration, et je me suis souvenue qu’ « Une vie bouleversée » était, ailleurs, cité par André Comte-Sponville comme « le » livre qu’il amènerait sur une île déserte, ou qu’il sauverait d’un incendie (après, énonce-t-il dans l’ordre, « mes enfants, moi, ma compagne »). Ou quelque chose comme ça. Ce qui me faisait quatre raisons de m’y intéresser.

Renoncer, c’est toujours renoncer « au nom de » quelque chose, s’accordaient à dire mes trois orateurs (de fait, d’accord sur ça, d’accord sur Etty Hillesum, d’accord sur la beauté et la puissance du paragraphe 285 du « Gai Savoir », ils débattaient peu). « Renoncement » et « conversion » iraient donc de pair. Pas nécessairement religieuse, la conversion, avança le psychanalyste de service. Mais le modèle du renoncement c’est quand même, dans l’imagerie d’Épinal de l’Histoire de France, le baptême de notre fier Clovis : « brûle ce que tu as adoré, adore ce que tu as brûlé ».

Pas nécessairement religieuse, la conversion, insistait le psy : on peut renoncer à nos idolâtries modernes, à nos dépendances, nos opiums. Il parlait de désir, d’un approfondissement du désir dans le renoncement, ce désir dont il faut bien faire quelque chose, à quoi il faut donner un sens, une direction, quand on renonce. Qui ne disparaît pas, mais peut être sublimé, employé ailleurs, employé à mieux. Réinvesti spirituellement. Si j’ai bien compris.

Bref, j’ai passé un bon moment.

Après, j’ai tourné la tête vers la fenêtre ouverte sur le jardin : les jeunes pousses, les cris d’oiseaux. Un bloc de mots s’est logé dans ma tête, à côté de Clovis et du désir qui s’estompaient à peine : « une nuée de papillons multicolores ». Des papillons, il y en a moins qu’avant, certes. Il n’y en avait pas un seul par la fenêtre, mais les mots flottaient là, eux, cette image au mieux tout à fait kitsch, et plus probablement encore, plate et vide pour vous comme pour moi. Tellement usée qu’elle ne fait plus rêver. On comprend l’idée. Tellement de papillons qu’on dirait un nuage. Comme les murmurations d’oiseaux. Mais ça fait flop.

Au contraire, une murmuration, un vol serré de centaines ou de milliers d’étourneaux qui tournent et virent, piquent, décrochent ensemble, un vol si serré, si nombreux qu’on dirait un grand corps animé d’une vie propre, comme c’est plein de beau mystère !

De là je suis arrivée à cette expression dont le succès m’exaspère : « avoir des papillons dans le ventre ». Pour dire qu’on est très joyeusement ému. Ah, le regard idéaliste et niais de l’adulte qui dit ça, qui copie la candeur des enfants ! Ça m’énerve ! Ça me rendrait agressive ! Il faudrait que je voie ça avec le psy de service, peut-être. Je n’aime pas quand les adultes se travestissent en enfants. Je n’aime pas le Petit Prince. Mais je ne peux pas y renoncer. Ce serait tricher. On ne renonce qu’à ce qu’on aime.

Charlie Walbert

C’est à Fisherman’s Wharf que j’ai rencontré Charlie Walbert. J’allais, moi, au-devant de ma vie. Oui, j’avais devant moi l’étourdissante liberté, tout le champ des possibles, à m’en évanouir – du moins je le croyais, mais j’étais ni plus ni moins qu’une touriste française de vingt-trois ans dans ses aigus maniaques.

« FREE HUGS », indiquait sa pancarte ; je m’étais avancée tout sourire, les bras grand ouverts moi aussi, j’avais délicatement écarté la pancarte et lui avais non moins délicatement roulé la pelle de sa vie.

Charlie et moi, on avait aimé ça.

Charlie avait enlevé sa combinaison jaune et poilue de Winnie l’Ourson géant, l’avait mise sur son bras. Apparemment on transpirait là-dessous : son tee-shirt collait à sa poitrine et en dessinait toutes les courbes. La pancarte, je la lui pris des mains, et la cachai derrière mon dos, à l’envers – que personne d’autre ne s’avise, du moins dans l’heure à venir, de demander des câlins à Winnie-Charlie.

Ses jambes hâlées allaient, ailées, devant moi, fines et musclées. On avait cherché un restaurant sur le port (j’imagine que Charlie aimait autant que moi la densité de l’air qui nous environnait, cette tension entre nous, et voulait faire durer l’attente de sa résolution : il n’y avait que ça, des restaurants, sur le port). J’étais morte de faim. Le restaurant surplombait les eaux de la baie, et une mouette s’était cognée à grand bruit à la vitre près de moi. J’avais crié de surprise, tout de suite le regrettant, tout de suite mortifiée ; j’aurais voulu rester impassible, et que Charlie Walbert me trouvât flegmatique, donc mystérieuse. J’essaie toujours ce cliché de la femme énigmatique, mais bientôt il ou elle s’aperçoit que je suis émotive, impulsive, peureuse. On n’en était pas là. On mangeait, comme il convient, de la soupe de palourdes dans de gros pains ronds évidés, pieds vite emmêlés sous la table, et dessus, les doigts pareil.

Walbert était le nom français de son père – ou bien le W avait été ajouté à Albert, pour faire américain ? Charlie ne savait plus. C’est son arrière grand-père qui avait émigré, dans les années 30. Non, la famille n’était jamais retournée en France, pas même pour des vacances.

Je donnais la réplique, mais je n’écoutais pas vraiment. Les cheveux de Charlie, décolorés par le soleil, ondulaient sur ses joues bronzées. Son visage était entièrement couvert de taches de rousseur, même ses paupières, même sa bouche – des taches plus brunes qui aimantaient mes yeux, que j’aurais voulu compter, mais ses lèvres bougeaient toujours, et m’attiraient toujours plus.

Et puis Charlie avait cessé de parler. Entre nos sourires voraces circulait maintenant un désir serré et nourrissant comme le pain.

C’est derrière la chapelle aux péris en mer, Pier 45, que Charlie a fait claquer les bretelles élastiquées de mon maillot. Je glissais déjà une main dans le sien.

Nous n’avions pas encore dessoûlé de notre plaisir, et personne ne marchait très droit sur le quai ensoleillé, quand nous nous sommes séparées.

Mercredi 27 janvier 2021

J’ai aussi une version « 60 000 signes » de ce texte, Bon… Donc en gros 10 000 mots. Quelque chose comme 28 pages.

Je l’avais fait réduire, de 60 000 signes à 30 000, je l’avais dégraissé, pour atteindre le format demandé par un concours de nouvelles. Et maintenant que je me fiche des formats, maintenant que le jury  c’est vous, j’ai envie de retravailler cette version longue. Vous y rencontreriez (allez, vous y rencontrerez) Marco, le père de Johanna, et verrez comment s’y prend une psy qui vous met dehors aimablement mais fermement. Mais j’ai aussi Des Objets et des hommes à revoir, pour oser vous le montrer, et puis à écrire ce Jour après jour du Mercredi 27 janvier 2021 qui commence tout de travers, par la coulisse.

Au printemps dernier j’écrivais chaque jour un texte de 200 mots. 1 200 signes, une pastille, une capsule, je ne sais pas comment dire, les images qui me viennent sont pharmaceutiques, et c’est vrai qu’à moi en tout cas, cette médecine quotidienne faisait du bien. J’ai commencé par décrire le mur devant lequel je travaille, ça donnait ce genre de choses :

A ma gauche, à mi-mur, une carte postale de la fée Clochette sur fond bleu, revue et dessinée par Loisel. Brune, (quelle audace !), et mutine, coquine. Pas nunuche. Pas innocente non plus, avec ses bas rayés de Barbarella, ou d’abeille dodue. Un justaucorps taillé dans une feuille d’arbre (« une seule rose a suffi », comme le chante Brassens… cependant les appâts de la petite fée débordent adorablement).

A ma droite une photo de ma grand-mère Paulette, blonde, pas nunuche non plus mais sans les bas noirs et jaunes, avec un cardigan beige, sourire lèvres fermées, bras serrés sur sa vie « pour rien », comme elle m’a dit un jour, dans ses dernières années : « ç’aura été une vie pour rien ». Bovary tout pareil.

Un peu plus haut à droite, un visage féminin peint par Fra Angelico, découpé dans un rond, provient d’une affiche que m’avait offerte mon autre grand-mère, Clairette, parce qu’elle trouvait que cette femme me ressemblait. Cheveux cachés, yeux baissés, lèvres serrées, air confiné. Air dédaigneux plus que sage. Aujourd’hui je rêve à cette lutine en elle qui n’attendait qu’une paire d’ailes, une fleur autour du cou.

Bon…

Elle était assise avec son bol de muesli face aux vitres ruisselantes encadrées de fer peint en vert, carreaux vieillots, qui composaient ce que pompeusement l’agent immobilier avait appelé la véranda.

Disons une terrasse vitrée.

« Vue imprenable, madame Salem ! » ; « première ligne » ; « emplacement exceptionnel » : c’étaient les mots de ce monsieur Boutonnier, qui lui avait finalement vendu la maison verte.

Depuis le premier mai il avait plu continûment. Depuis trois semaines, l’eau du ciel, en trombes, en bruine ou en crachin tombait sur la région, lavait tout, retournait à la mer.

La sonnerie du téléphone enleva Gabrielle à ses considérations météorologiques. Elle se leva, légèrement agacée – il devait s’agir de démarchage (l’éternel vendeur de panneaux solaires… ou de vérandas).

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Mercredi 6 janvier 2021

Chères lectrices, chers lecteurs,

Je commence à comprendre comment ça fonctionne, un blog. Je teste, j’appuie sur des boutons… Parfois il y a des petites surprises. Des couacs.

Vous avez reçu il y a quelques jours une publication estampillée Germoraline dont le contenu était de Delphine Surrans. Dommage pour moi, qui n’ai pas écrit ce texte, dommage pour elle, qui était à peine mentionnée, dommage pour vous qui n’avez pu lire jusqu’au bout ce billet intitulé « Mon amour, je t’aime et tu… »

Aujourd’hui, je n’ose pas me lancer dans la création d’une « ancre » qui – WordPress me l’assure – vous renverrait, par un petit lien malin, directement au début dudit billet.

Et vu mon succès avec leur bouton « reblog », je crois que c’est raisonnable.

À l’ancienne donc, voici un lien, qui aura peut-être le bon goût d’être émulable, vers le site de Delphine, son « blog d’une auteur en devenir ». Vous y trouverez délicatesse, sensibilité… et maîtrise technique. Et la suite de « Mon amour, je t’aime et tu… ».

https://delphinesurrans.wordpress.com/

Pardon et des bises à tout le monde !

Vendredi 1er janvier 2021

Ah ! On remet Germoraline en route.

Ça me fait un effet.

J’ai fait du vide pour l’occasion, j’ai tout jeté de 2020, je le regrette déjà, et je suis tentée de recycler quelques vieux textes, par exemple celui-ci, qui date du 15 mai et s’appelait Ecouter quand ça cogne :

On ne peut pas dire que je sois vraiment sortie. On peut même dire que je ne suis pas sortie. Je n’en fais pas un titre de gloire, pas même une originalité : des gens comme moi, il y en a plein, paraît-il, qui ne veulent pas sortir, des « nostalgiques du confinement », comme on les appelle parfois. Je ne suis nostalgique de rien, juste, je continue. Je continue ma vie retirée, à écrire mes histoires, sans consommer, sans voir les gens. Je choisis de continuer. Parce que c’est devenu urgent, ces choses à écrire. Cette expression, « je choisis de continuer » me rappelle quelque chose, soudain. Je vais essayer de vous raconter :

C’est en 1968, c’est le premier Golden Globe Challenge, le tour du monde à la voile par les trois Caps, en solitaire, sans toucher terre et sans assistance. Ça passe ou ça casse. Bernard Moitessier, le “vagabond des mers du Sud”, 44 ans, refuse même d’emporter une radio à bord de Joshua.

Cap de Bonne-Espérance, Cap Leeuwin, il fait la course en tête. Après avoir passé le Cap Horn, il s’éloigne de la zone des icebergs, commence à remonter vers le nord, et on l’attend déjà avec le champagne sur la ligne d’arrivée, à Plymouth. Le beau de l’histoire, c’est qu’il n’en sait rien. Il sait qu’il est passé, seul et sans escale, mais il ne sait pas qu’il est le premier. Et à vrai dire il s’en fout maintenant ; il décide de “redescendre”, il quitte la course. A l’aide d’un lance-pierre, il catapulte un message sur un cargo :

« Je continue sans escale vers les îles du Pacifique, parce que je suis heureux en mer, et peut-être aussi pour sauver mon âme »

« Sauver mon âme » : un SOS à l’envers. Ne me secourez pas, ne me retenez pas, je sauve mon âme. J’écoute mon cœur qui cogne. Il y a des choses prioritaires, et pour moi, aujourd’hui 18 mars 1969, faire route vers la Polynésie est une chose prioritaire. 

Pour 2021, je vous souhaite la Polynésie.

Note : “Ah ! On remet le Voyage en route. Ça  me fait un effet. Il s’est passé beaucoup de choses depuis quatorze ans.” : c’est le début de la préface à la première réédition de Voyage au bout de la nuit après la guerre, rendons  à Céline ce qui est à Céline.

Quand la belle au bois dormant se réveille…

Quand la belle au bois dormant se réveille, elle a presque cinquante ans. C’est le dos de ses mains qui le lui dit. Les tendons, les articulations, tout est bien visible. Ce n’est pas que ce soit moche, mais ce n’est pas bon signe. Des veines bleues soulèvent une peau fine et finement quadrillée. Pas de taches brunes encore sur sa peau claire, ce n’est pas la vieillesse, donc. Mais ça y ressemble.

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